Le Compte Personnel de Formation, finalement monétisé

· L’annonce de Muriel Pénicaud, ministre du travail, sur les mesures 1 et 2 Mesure 1 : Tous les salariés verront leur Compte Personnel de Formation (CPF) crédité de 500 € par an pour choisir leurs formations en toute liberté Mesure 2 : Pour les salariés non qualifiés, 800 € par an plafonné à 8 000 € leur permettront de changer de catégorie professionnelle Le décryptage Dans l’ANI du 22 février, les partenaires sociaux ont souhaité offrir davantage de droits CPF aux salariés en relevant le système de capitalisation des heures : 35h / an, au lieu de 24h actuellement, pour tous les salariés, temps plein ou temps partiel jusqu’à un plafond de 400h (au lieu de 150h aujourd’hui). Pour les salariés qui n’ont pas atteint un niveau de formation sanctionné par un diplôme classé au niveau V (CAP, BEP), l’ANI propose de porter à 55h/an les droits CPF jusqu’à un plafond de 550h. Muriel Pénicaud a salué cette initiative, issue du dialogue social, d’allonger les droits CPF. Cependant, elle maintient son intention, à peine masquée, dans le document d’orientation remis le 15 novembre 2017 aux partenaires sociaux « quelle doit être la nouvelle unité de mesure du CPF ? », et choisit de la mettre en application en monétisant le CPF. Le 5 mars dernier, la ministre du travail a donc annoncé 500€ /an pour les salariés qualifiés et 800€ / an pour les salariés non qualifiés. Si l’on reprend la nouvelle règle de capitalisation de 35h proposée par les partenaires sociaux (on ne peut ignorer l’ANI), l’heure de formation au titre du CPF pour un salarié serait à un peu plus de 14€/h, mais sur 10 ans ce taux descendrait à 12,5€ /h. Conséquences pour les organismes de formation En 2017, les certifications les plus demandées* avec le CPF était, dans l’ordre, le TOEIC, Bulats, CléA, PCIE, TOSA, CACES, Stage de préparation à l’installation (SPI), l’accompagnement à la VAE et le diplôme d’état d’aide-soignant(e). Aline, dirigeante d’un organisme de formation spécialisé dans les langues m’explique : « Avec plus de 90% de notre chiffre d’affaires venant de financements CPF, la situation pour nous va s’aggraver. Chaque réforme nous pose de nouvelles contraintes » avant de tempérer « S’il faut s’adapter, on s’adaptera. On ira chercher une certification qui nous permettra d’accéder aux financements CPF. Mais en réalité, la qualité, on en fait déjà sans certification, et je vous assure que les publics que l’on forme nous le confirme de retour sur leur poste de travail ». S’agissant du profil de ses apprenants, seul 1% non qualifié a, seul et de sa propre initiative, mobilisé son droit CPF. Si les autres apprenants non qualifiés qu’elle a reçus ont pu mobiliser leurs droits CPF, c’était avec le support administratif et financier de leur employeur… dans le cadre du plan de formation. Les points de vigilance et pistes de réflexions Enjeux pour les organismes de formation Les marges des organismes de formation pourraient donc accuser le coup de la monétisation du CPF. Aline explique qu’un organisme concurrent, affichant une certification reconnue, utilise des méthodes qu’elle ne partage pas même si elle « récupère » des stagiaires. En effet, pour une préparation au TOEIC, les stagiaires en inter-entreprises seraient, casque sur la tête, derrière un écran suivant une solution e-learning pendant une journée entière avec en support… un formateur afin de respecter le principe de l’assistance pédagogique (conformément aux règles d’éligibilité des formations ouvertes et à distance). · Si la digitalisation des formations prend une place grandissante sur le marché, elle doit être pensée intelligemment. Elle ne peut se résumer à une option d’intérêt purement économique dans les limites du cadre réglementaire. o Penser digital pour un organisme de formation, c’est aussi et nécessairement faire évoluer ses pratiques notamment par la combinaison des modalités d’apprentissage. Le blended learning est une piste intéressante à explorer afin d’équilibrer les contraintes (combinaison de classe virtuelle, présentiel, vidéo, forum, évaluation…). Aurélie, responsable pédagogique et qualité d’un organisme de formation d’un réseau national est accompagnée dans la digitalisation de l’un de ses parcours phare en blended-learning « nous allons procéder par étape. Pour l’instant, nous ne nous appuierons pas sur un LMS pour mieux nous concentrer sur l’ingénierie de formation et l’accompagnement des apprenants avec nos formateurs ». · Après avoir passé le cap du Data-Dock, les organismes de formation (plus de 30000 sont data-dockés et 53000 dans une démarche de référencement**) doivent réfléchir à une démarche de certification s’ils souhaitent continuer de prétendre à des solutions de financement publics… et pour la satisfaction clients. Certification qualité et qualité de formation ne sont pas nécessairement et fondamentalement liées. o Une certification qualité n’est pas un produit sur étagère que l’on choisit pour se conformer à des contraintes réglementaires (cf. décret du 30/06/2015). Ce choix doit avant tout s’inscrire dans une stratégie d’entreprise avec une organisation adaptée à la recherche permanente de la satisfaction client (prescripteur ou apprenant). Lionel, dirigeant d’un organisme de formation dans le Nord me consulte : « notre organisme s’est développé rapidement. Nous sommes référencés dans le data-dock et souhaitons aujourd’hui passer à une nouvelle étape : la certification. Mais laquelle choisir parmi la cinquantaine de la liste du CNEFOP ? ». Il avancera finalement en 2 temps : un état des lieux qui révèlera la certification la mieux adaptée à son organisme, et la constitution de son dossier de certification. o Les organismes de formation référencés sur data-dock ou certifiés doivent valoriser cette reconnaissance en étant visible le plus largement possible notamment en direction du public auquel la réforme s’adresse. Outre le site des OPCA, il existe des plateformes sur Internet qui contribuent gratuitement à cette visibilité : https://www.linkedin.com/pulse/financer-ma-formation-1er-site-tous-publics-sur-les-solutions-durnez/ Enjeux pour les entreprises Accord GPEC ou politique CPF à (re)penser · Dans les entreprises de 300 salariés et plus, la négociation sur la GPEC doit comprendre la définition des critères et modalités d’abondement du CPF par l’employeur. Or aujourd’hui, on ne constate pas de réelle ou ambitieuse politique CPF comme on pouvait l’observer avec le DIF alors qu’il n’y avait aucune obligation légale. Mais la disparition prochaine de la période de professionnalisation devrait conduire les entreprises à repenser la place qu’ils vont devoir accorder à la notion de « projet partagé ». Cette réflexion pourra être menée dans toutes les entreprises et notamment, si ce n’est pas déjà en cours, celles dotées de centre de formation interne ou de leur propre université. o Lorsqu’elle investit dans de nouveaux projets, l’entreprise investit aussi incidemment dans les compétences de ses collaborateurs. Mais le développement des compétences ne se prescrit pas comme on prescrit les formations. Pour les salariés, il nécessite aussi des moyens en situation de travail organisés par l’encadrement (pouvoir) et un sens dans les tâches à accomplir (vouloir). L’entreprise doit travailler sur l’appétence à la formation en innovant par des mesures d’incitation diverses (blended learning, afest, analyse de pratiques…). o Autre nouveau défi à relever par les DRH et responsables formation et compétences, bâtir une stratégie CPF en développant une communication adaptée à la politique RH et formation pour son soutenir son déploiement (guide du CPF à l'usage des Managers, réalisation comme il se doit de l’entretien professionnel, proposition d’une offre de formation présélectionnée, réalisation sur temps de travail, abondement financier…) L’entretien professionnel à (re)penser · Comme quelques entreprises très en retard sur le déploiement de l’entretien professionnel (EP) me l’ont confié « il disparaîtra avec la prochaine loi sur la formation ». Or, son importance est évidemment réaffirmée dans l’ANI du 22 février. Rappelons qu’au-delà de l’obligation de moyens sur l’entretien professionnel, une obligation de résultats vise les employeurs avec l’obligation de dresser un état des lieux récapitulatif tous les 6 ans. Le prochain est dans moins de 2 ans. L’entretien professionnel est une obligation légale issue de la loi de 2014, inscrite dans le code du travail pour toutes les entreprises. Celles de plus de 50 salariés s’exposent à des sanctions d’ordre financier au bénéfice de leurs salariés qui n’auraient pas eu d’entretien professionnel (L6323-13). o Les entreprises qui n’ont pas enclenché l’entretien professionnel ou seraient en retard doivent agir au plus vite pour se conformer à leurs obligations légales. Des pistes existent pour les PME : https://www.linkedin.com/pulse/lexternalisation-des-entretiens-professionnels-un-rare-frank-savann/ · La logique de co-construction employeur-salarié, qui pourrait paraître évidente, reste encore à définir dans de nombreuses organisations. L’entretien professionnel est pourtant un excellent outil pour développer cette co-construction. Mais du fait d’un entretien annuel bien installé, culturellement ancré dans les organisations, il s’est difficilement frayé une place qui lui a finalement été accordée par la voie légale. Et comme dans la plupart des entreprises il est assuré par des managers débordés, ou rapidement formés, on comprend aisément sa difficulté à s’imposer comme un outil RH et managérial pour cette co-construction. o Un juste équilibre doit donc être trouvé entre l’entretien annuel (quand il existe) et l’entretien professionnel. Il est temps, voire nécessaire, de repenser la place de l’entretien professionnel à l’aune d’un CPF rénové. Vous êtes responsable RH ou dirigez un centre de formation ? Contactez-nous pour être accompagné dans la mise en oeuvre de la réforme de la formation : contact@qualif.fr *Source : https://www.paritarisme-emploi-formation.fr/actualites/article/top-10-des-formations-financees-par-le-compte-personnel-de-formation-cpf-en ** Data-dock.fr